Allée JEAN FOUREST (Juvisy, école Tomi Ungerer)
(Le Parisien, 19 avril 2004)
DANS SES MAINS tremblantes, Jean Fourest tient un petit papier bleu usé. Dessus, on peut lire ces quelques mots écrits au crayon de papier : « Sommes tous sains et saufs, maison presque détruite. » Ce télégramme que ses parents lui ont envoyé le 19 avril 1944 au matin reste pour lui « le document le plus précieux ».
À 80 ans, cet habitant de Juvisy-sur-Orge a participé hier avec émotion aux commémorations du 60e anniversaire du bombardement de la gare de triage de Juvisy par les Anglais.
En 1944, la famille Fourest habitait un petit pavillon rue de la Paix. Jean avait 20 ans et étudiait le droit en province. Cette nuit noire d'avril, il l'a passée loin de ses parents. « Ce mardi-là, confie-t-il, j'avais comme un pressentiment. J'ai prévenu mon père qui a mis mes sœurs à l'abri chez de la famille. » À Juvisy, les habitants redoutaient l'attaque depuis plusieurs jours. Les Alliés préparaient le Débarquement et les gares de Trappes et Villeneuve-Saint-Georges avaient déjà été bombardées pour ralentir l'avancée des Allemands.
Dans la soirée du 18 avril, le grondement de plus de deux cents avions se fait entendre. À 23 heures, l'alerte est donnée. Les Anglais sont là ! Les habitants courent se réfugier hors de la ville, dans des abris aménagés dans les jardins ou dans des pièces louées pour l'occasion dans les communes voisines. Pendant quarante minutes, les Anglais vont lâcher 2 500 bombes. Les premiers atteindront immédiatement leur objectif : la gare de Juvisy, baptisée à l'époque « la plus grande du monde » avec sa zone de triage, ses halles de déchargement, ses dépôts de machines à vapeur et ses ateliers de réparation.
Plus de trois cents morts. « Les Alliés ont testé pour la première fois la méthode des marqueurs, explique Jean Fourest. Deux avions ont rasé le sol pour déposer des balises et délimiter la zone à bombarder. D'autres appareils ont ensuite largué des parachutes éclairant. On y voyait comme en plein jour ! Puis, avec la fumée et les nuages de poussière, les Anglais ont eu du mal à viser, et les bombes sont tombés sur le Val d'Athis. Le drame, c'est que beaucoup de bombes étaient à retardement. Elles ont explosé à l'arrivée des secours. »
L'attaque fera près de six cents victimes dont plus de trois cent morts. Des centaines de maison et d'immeubles seront rasés. À Juvisy, le château est rayé de la carte à jamais, le marché couvert et l'école Saint-Charles sont éventrés. À Athis-Mons, le quartier du Val est meurtri et la nef de l'église a été touchée par un wagon projeté à deux cents mètres. « Il y a eu de vrais drames, poursuit Jean Fourest.
La mairie, où l'état-major des pompiers s'était réuni, a été détruite par une bombe à retardement. Le seul pompier retrouvé vivant dans les décombres a perdu toute sa famille. »
À Juvisy, l'église aux vitraux soufflés a servi de morgue. Les obsèques ont été célébrées quatre ou cinq jours plus tard par l'évêque de Versailles. « Il y a eu d'autres bombardements les semaines suivantes, souligne Jean Fourest, devenu par la suite employé à la SNCF. Mais celui-ci fut le plus terrible. Il a fait partir des centaines d'habitants et changé à jamais la configuration des deux villes.
Jean Fourest :
Naissance : 02/06/1923 à Sainte-Eulalie-d'Ans (Dordogne)
Décès ; 16/04/2011 à Juvisy-sur-Orge (Essonne), 87 ans